Management : faut-il écouter son intuition ?

L’intuition est souvent perçue comme un don insaisissable, un éclair de génie inexplicable. Pour toute personne situation de management, elle peut séduire autant qu’elle inquiète. Certains la considèrent comme un atout précieux, un levier puissant pour la prise de décision. D’autres y voient un piège cognitif, un raccourci risqué pouvant mener à des erreurs coûteuses.

Mais alors, faut-il écouter son intuition dans le management d’une équipe ou d’une entreprise ? Pour répondre à cette question, explorons ses forces et ses limites à travers le prisme des neurosciences et de cas concrets.

Thèse : non, il ne faut pas écouter son intuition !

Le cerveau humain est un formidable outil, mais il n’est pas infaillible. Il est structuré en plusieurs parties, dont certaines sont plus rationnelles et d’autres plus instinctives. Le cortex préfrontal, siège de la réflexion et de la planification, est responsable des décisions réfléchies. À l’inverse, la partie archaïque de notre cerveau (limbique et reptilien) fonctionne sur la base d’automatismes, d’émotions et d’expériences passées.

L’intuition provient principalement du cerveau archaïque, qui se base sur des schémas préexistants. Cela peut générer des biais cognitifs influençant nos jugements de manière trompeuse. Daniel Kahneman, prix Nobel d’économie, distingue deux systèmes de pensée :

• Système 1 : rapide, automatique, émotionnel, intuitif.
• Système 2 : lent, réfléchi, analytique, logique.

Selon lui, le Système 1, source de l’intuition, est souvent biaisé. Il est influencé par des expériences personnelles et des heuristiques (raccourcis cognitifs). Par exemple, un manager pourrait inconsciemment favoriser un collaborateur simplement parce qu’il partage les mêmes références académiques, sans évaluer objectivement ses compétences.

Les recherches montrent que dans des situations particulières, s’appuyer uniquement sur l’intuition peut conduire à des erreurs de jugement. Une étude menée par Gerd Gigerenzer, psychologue et spécialiste de la prise de décision, a révélé que lorsque les enjeux sont élevés et les variables nombreuses, les décisions purement intuitives ont tendance à être moins fiables que celles basées sur des analyses rationnelles. L’intuition peut dans ce cas être la résultante de plusieurs biais cognitifs.

En entreprise, cela peut se traduire par des investissements hasardeux, des erreurs de recrutement ou des décisions stratégiques mal informées.

Exemple : Le fiasco de Kodak

Kodak, pionnier de la photographie, a ignoré les premiers signaux du marché numérique. La direction s’est appuyée sur son intuition en estimant que le film argentique resterait dominant. Résultat : l’entreprise a raté le virage du numérique et a fini par déposer le bilan.

Antithèse : oui, il faut suivre son intuition

À l’inverse, de nombreux dirigeants considèrent l’intuition comme un levier de management efficace, notamment lorsqu’elle est nourrie par une solide expérience. Steve Jobs et Tim Cook ont tous 2 affirmé que certaines de leurs décisions majeures reposaient sur l’intuition plus que sur une analyse purement rationnelle.

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Tim Cook, CEO d’Apple, a déclaré dans une interview que certaines de ses décisions les plus importantes étaient prises sur la base de son ressenti, sans analyse exhaustive. Il considère que son instinct, affiné par des années d’expérience, lui permet de trancher rapidement sur des enjeux stratégiques.

L’intuition fonctionne comme un raccourci cognitif basé sur une accumulation de connaissances et d’expériences. Selon une étude du MIT Sloan School of Management, les experts dans un domaine sont capables de prendre des décisions intuitives plus précises que les novices. Leur cerveau reconnaît inconsciemment des schémas et anticipe des issues probables.

Exemple : Jeff Bezos et Amazon

Jeff Bezos a lancé Amazon Prime sur une intuition : il a estimé que les clients seraient prêts à payer un abonnement pour bénéficier d’une livraison rapide. À l’époque, cette idée n’était pas validée par les données. Aujourd’hui, Amazon Prime est un succès mondial.

Synthèse : ayez une approche équilibrée de l’intuition dans votre management

Plutôt que d’opposer intuition et rationalité, le bon manager sait mobiliser les deux en fonction des circonstances. L’intuition est précieuse, mais elle doit être validée par des éléments concrets avant d’être suivie aveuglément.

Un exemple frappant est celui d’un cabinet ministériel français en début de crise Covid-19. Face à une situation extraordinairement complexe, les experts n’arrivaient pas à trancher sur la décision à adopter. Trop d’inconnues, des données contradictoires et un manque de recul empêchaient une décision rationnelle claire. Finalement, c’est l’intuition d’un membre du cabinet, fondée sur des signaux faibles et une analyse globale du contexte, qui a permis de prendre une décision essentielle… qui s’est révélée juste par la suite.

Cet exemple montre que dans des situations complexes et inédites, lorsque les informations sont insuffisantes, écouter son intuition peut être la meilleure option. Mais pour en faire un levier de performance en management, il est nécessaire de ne pas la confondre avec une impulsion émotionnelle.

Conclusion

L’intuition serait-elle finalement un travail en tâche de fond de notre cerveau archaïque qui vendrait affleurer notre conscience ? L’intuition peut être une force lorsqu’elle est soutenue par l’expérience et la connaissance.  Un bon leader doit savoir reconnaître quand s’y fier et quand privilégier une analyse rationnelle. Le management moderne repose sur un équilibre entre réflexion analytique et instinct stratégique. Dans un environnement en perpétuelle évolution, savoir écouter son intuition sans en être prisonnier est un atout majeur.

Sources

• Daniel Kahneman – Thinking, Fast and Slow (2011)
• Gerd Gigerenzer – Risk Savvy: How to Make Good Decisions (2014)
• MIT Sloan Management Review – Analytics and Intuition, finding equilibrium
• Harvard Business Review – What to di if you feel you’re lost your intuition

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